Pierre-Arthur Michau plus connu sous le pseudo PAM est le cofondateur de OKONKOLE Y TROMPA, blog très respecté de la communauté de diggers qui sévit sur internet. Également résident de la radio londonienne NTS, il est récemment venu jouer Bordeaux et a gentiment accepté de nous préparer un mix. Entre disques obscurs au tempo lent et autre boogie français, il nous raconte son parcours, son implication au sein du label Antinote, et son univers musical dans l’interview qui suit.
tplt : Peux-tu te présenter rapidement et nous raconter un peu ton parcours ?
pam : Je suis né au milieu des années 1990 au sud de la Bretagne et vis désormais à Paris. Je collectionne les disques depuis une dizaine d’années et sévis en tant que disc-jockey sous l’acronyme PAM, à droite à gauche et tous les mois dans l’émission Okonkole Y Trompa sur NTS. J’ai lancé avec un ami japonais, Satoshi Yamamura, un blog du même nom sur lequel j’écris de façon hebdomadaire sur des disques plus ou moins oubliés.
tplt : Comment es-tu arrivé à la musique ? Est-ce que c’est quelque chose qui vient de tes parents ou simplement de ta propre curiosité ?
pam : C’est difficile de dire ce qui a déclenché cette relation si forte que j’entretiens avec la musique… Cela a peut-être à voir avec un trait de caractère particulier.
Sans doute est-ce quelque chose d’assez similaire – mêlé à un léger sentiment d’ennui – qui pousse des gamins à dévorer des volumes de la Pléiade ou à développer des réflexes hors du commun à Street Fighter. Dans mon cas, ça a été d’écouter de la musique de façon obsessionnelle.Mes parents m’ont certes encouragé à jouer d’un instrument – comme c’est sûrement le cas dans beaucoup de “bonnes” familles – mais je ne peux pas dire qu’on écoutait beaucoup de musique à la maison. La discothèque familiale était assez modeste, et quelques cassettes de Julien Clerc et de Souchon tournaient en boucle dans l’autoradio de ma mère. Deux CDs sortirent cependant du lot : Daft et In Visible Silence de The Art Of Noise.Plus tard, je fis mes armes à la médiathèque municipale où j’empruntais toutes les semaines des CDs que je gravais, en écumant méthodiquement chaque section. Dans le bac “Rock” ce fut sans doute Trans-Europe Express qui me traumatisa le plus; dans le bac “Jazz”, les trois ou quatre albums de Miles Davis (un par décennie).
Avec l’installation de l’ADSL, je pus vivre la fin de l’âge d’or des blogs “de partage de musiques obscures” comme Mutant Sounds ou Holy Warbles (respect éternel à leurs contributeurs). J’ai malheureusement récemment perdu les centaines d’heures de musique téléchargées sur ces sites lors d’un catastrophique crash de disque dur…
Enfin, j’ai eu la chance de rencontrer des tarés de musique qui m’ont ouvert les portes d’univers sonores que je ne soupçonnais pas – big up Dave, Vidal, Zaltan et les autres !
tplt : Parle-nous de ton blog OKONKOLE Y TROMPA, comment as-tu eu l’idée et quel est le concept ?
pam : J’imagine que c’est parti d’une idée assez saine de partage: avec mon pote Satoshi, nous avons un jour constaté que nous commencions à avoir pas mal de disques que nous adorions et qu’il était impossible de les écouter ailleurs que dans nos salons respectifs. Pour des gens qui avaient découvert tant de bons disques sur Internet, nous voyions cela comme une injustice. L’idée de mettre de la musique en ligne sur YouTube est donc venue assez naturellement.
Ce n’était pas encore tout à fait hype d’avoir une chaîne YouTube et je n’avais pas envie de poster de la musique en la déracinant de tout contexte musical, social ou historique. Je voulais raconter l’histoire de ces disques et artistes oubliés, comme le faisait si bien Eric Lumbleau (prolifique contributeur de Mutant Sounds), par exemple. C’est ainsi qu’est née l’idée d’un site sur lequel je tente chaque semaine de raconter une histoire – plus ou moins longue, plus ou moins lacunaire – à propos d’un disque dont nous avons préalablement posté un morceau sur notre chaîne YouTube.
tplt : Quels sont les styles musicaux que tu affectionnes le plus ?
pam : Aucun ! Si quelqu’un m’avait dit il y a quelques années que j’écouterais ce qu’il m’arrive d’écouter aujourd’hui, je lui aurais sûrement ri au nez – ou pire…
Cela dit, un de mes principaux points d’entrée dans la musique ayant été le jazz, j’ai gardé une certaine tolérance pour les morceaux de jazz-fusion un peu idiots, un peu cheesy, et surtout une appétence particulière pour les musiques avec un groove, aussi déstructuré soit-il. À vrai dire, même lorsque j’écoute de la musique très abstraite ou expérimentale, je peux rarement m’en passer. J’ai vraiment du mal à apprécier des morceaux qui se moquent de toute contrainte rythmique.
Certaines personnes qui me connaîtraient mal diraient sans doute que j’aime surtout des trucs “sophistiqués”, “rares”ou “barrés”: c’est faux. Je ne juge absolument pas la musique à l’aune de son degré de sophistication ou d’étrangeté. Il y a des tonnes de morceaux neuneus, des centaines de hits de pop que j’adore : Holding Back The Years de Simply Red me bouleverse et je tiens I Can’t Go For That de Hall & Oates en très haute estime.
tplt : Quel est ton rapport à l’objet vinyle ? Quels sont les lieux où tu préfères digger ? (record shops / flea market / discogs / 2nd hand entre potes…)
pam : Contrairement à un disque dur, un disque vinyle ne crash pas (Cf. question 2). Mis à part ça, il est difficile de justifier cette passion maladive en évitant les poncifs du genre “un disque vinyle, c’est un bel objet”.
L’intérêt principal que je porte aujourd’hui aux disques est lié à la recherche de musique que je ne connais pas. Le disque vinyle a dominé le marché de la musique enregistrée pendant des décennies, et c’est en parcourant des piles de 33 tours et de 45 tours, vestiges de l’industrie musicale des années 1950 aux années 1990, que j’ai découvert bon nombre des morceaux publiés sur Okonkole Y Trompa.
Je n’ai pas vraiment de préférence quant aux lieux où j’apprécie digger : il y a des shops complètement rincés, des Emmaüs sinistres et des brocantes désespérantes; et à l’inverse, des vide-greniers miraculeux et des disquaires qui semblent avoir traversé les années 1990 et 2000 sans que personne ne s’y soit arrêté depuis 1988.
Cela dit, j’affectionne particulièrement les grandes virées avec un ou deux amis : partir très tôt le matin, traverser des départements, s’arrêter dans des brocantes bucoliques, dans des recycleries au milieu de nulle part, et dans le pire des cas rentrer avec une poignée de 45 tours moyens et de bonnes anecdotes. Dans le meilleur des cas, avec un disque enregistré par une adolescente d’un lycée à 10 kilomètres du vide-grenier dans lequel nous l’avons trouvé.
tplt : Quel est le genre d’endroit où tu te sens le plus à l’aise pour mixer ?
pam : Encore une fois, difficile d’éviter les lieux communs, mais peu m’importe l’endroit tant que le public est cool et ouvert d’esprit ! Si en plus, le soundsystem est de qualité, comment ne pas être satisfait…
Mention spéciale aux membres de Bruits de la Passion qui ont réuni ces deux conditions avec brio lors d’une Zone Disco Autonome d’anthologie, en juin dernier. Big up à Vio DJ pour ses teufs Leihaus (si vous êtes de passage à Berlin, rencardez-vous).
À Paris, je décerne la médaille de kevlar à Belec pour ses soirées Bisou.
À Bordeaux, vous connaissez déjà les gars solides 🙂
tplt : Quel effet ça procure de compter parmi les rares résidents français de la radio londonienne NTS ?
pam : Je ne me suis jamais posé la question en ces termes. Je ne veux pas pour autant faire preuve de fausse modestie: je suis super content d’avoir une émission sur une radio dont je respecte énormément le parti pris, la programmation et sur laquelle certains de mes DJs préférés officient (je recommande notamment l’émission Time Is Away de Jack Rollo et Elaine).
J’imagine que j’ai toujours eu une fibre “anglo-saxonne” dans mon rapport à la musique qui doit assez bien coller avec l’esprit NTS. Je considère le show radio comme une extension du blog : ça nous permet de faire communiquer les disques chroniqués sur le site avec d’autres disques, qui n’auraient pas leur place sur Okonkole Y Trompa (non pas parce qu’ils ne sont pas bons, mais parce qu’ils ne sont pas aussi méconnus – au hasard, On The Beach de Chris Rea ou le dernier disque de RAMZi).
En conclusion : je suis fier d’avoir une émission sur NTS, non pas parce que je suis un de ses rares résidents français, mais parce que je respecte énormément ce qu’il s’y fait. J’ai eu l’opportunité d’avoir un show sur cette radio anglaise, mais je considère qu’il y a des émissions incroyables et des DJ’s très talentueux sur notre LYL radio nationale, tout aussi respectable.
tplt : Qu’apportent de plus selon toi toutes ces nouvelles web radios qui ont émergé ces dernières années ?
pam : Selon moi, ces web radios font partie d’un ensemble de dispositifs qui ont pris le relais des blogs dont je parlais précédemment et qui ont été mis à mort par le FBI en 2012, avec la fermeture du site de partage de fichiers Megaupload (ceci n’est pas une théorie du complot).
Grâce à elles, des réseaux de passionnés ont pu se tisser et grâce à l’engagement de certains DJ’s, des émissions repoussent les limites de nos univers musicaux, avec une spontanéité que ne permettent peut-être pas les podcasts, souvent plus solennels (en tout cas, dans mon cas, n’importe quel podcast que j’enregistre est beaucoup plus réfléchi qu’une émission de radio, rendez-vous mensuel).
Si vous écoutez Poulet Bicyclette sur LYL, par exemple, vous savez que vous prenez le risque d’être bousculé par des disques incongrus. Et c’est ce genre d’émissions qui ravivent sans cesse l’excitation de la découverte musicale, surtout pour des gens qui ne baigneraient pas totalement dans un univers musical, que ce soit celui du digging ou celui autour d’un style ou d’un genre particulier.
tplt : Peux-tu nous parler du mix que tu nous as préparé ?
pam : Disons qu’il s’agit d’un mix dansant de type warm-up. Il m’a été inspiré par un dimanche ensoleillé à Lille en septembre dernier (coucou Lény et l’équipe de Stick To The Groove).
J’ai essayé de mixer avec plus ou moins de skill des trouvailles récentes – relativement mal produites pour certaines – avec des disques moins obscurs, mais dont je ne me lasse pas (Steppin’ Into Asia de Sakamoto par exemple). Le tout ayant pour centre de gravité un magnifique morceau de Bossa Nova chanté à moitié en Français, à moitié en Espagnol. Ceux qui suivent assidûment Okonkole Y Trompa devraient reconnaître quelques morceaux. Pas forcément adapté aux soirées au coin du feu, attendez de le réécouter en fin d’après-midi, quand les beaux jours arriveront… Effets garantis !
tplt : On t’a vu plusieurs fois sur des plateaux Antinote, es-tu impliqué dans le fonctionnement du label ?
pam : Oui. Je donne un coup de main journalier à Zaltan depuis quelques années pour faire tourner le label. Depuis quelques mois, Raudie s’est joint à nous, et il gère plein de trucs chiants. Alors, merci beaucoup Raudie ! Il a d’ailleurs sorti un disque cool sous le nom Tambo’s House sur son propre label, Vulcan Venti.
tplt : Quels sont tes projets pour cette nouvelle année ?
pam : 2018 est l’année ou devrait se concrétiser le projet qui me tient le plus à coeur. Non, je ne vais pas me marier. Je n’attends pas non plus d’enfant. Mais ça ne devrait pas tarder à fuiter… Stay tuuuuuuned !
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Interview par Raphaël Le Manchec.