Qui se cache derrière la célèbre maison de haute couture Maison Martin Margiela ?
À l’occasion de la réception de la nouvelle collection, nous avons décidé de vous présenter ce mystérieux et talentueux personnage. Retour sur ses premiers pas, ses œuvres, et son intronisation au musée de la mode.
Prestigieuse maison de haute couture française, la Maison Martin Margiela voit le jour en 1988 grâce au créateur belge Martin Margiela. Son univers construit à la fois sur l’épure et la transformation des règles préétablies séduit rapidement les adeptes de style anticonformiste.
Une des rares photos du créateur Martin Margiela
Un art et des œuvres discrètes
Martin Margiela est l’un des créateurs les plus discrets du monde. Il refuse de nombreuses interviews et répond en général par fax. Nous trouvons peu de photos de lui, très peu présent sur la toile, il ne saluait pas toujours ses défilés, voire jamais. Disparu des radars depuis 10 ans Margiela est alors peu connut du grand public, bien qu’il soit une star du milieu.
Pour la presse cet anonymat est une stratégie publicitaire, bien que la Maison Martin Margiela affirme que cet anonymat est une réaction face à une industrie de la mode qui s’était trop commercialisée et une tentative sincère de recentrer la focalisation sur les vêtements et non pas sur les personnages qui y sont derrière.
Une attitude qui se ressent également dans sa marque. Chez Margiela, on ne fait pas de publicité et les étiquettes des vêtements restent blanches pour ne revendiquer aucune marque. La création passe avant l’industrie.
L’histoire de Martin Margiela et ses premiers pas dans la mode
Le couturier belge naît à Louvain en Belgique en 1957. Passionné par la mode il fait ses études à l’Académie Royale des Beaux-Arts d’Anvers. Bien qu’il termine celles-ci une année auparavant, en 1979, il est souvent associé par erreur aux membres du groupe de jeunes stylistes d’avant-garde des années 80, les Six d’Anvers notamment au couturier excentrique Dries Van Noten .
Il débuta d’abord en free-lance pendant cinq ans avant de s’installer à Paris. Il fit ses premiers pas dans la haute couture auprès de Jean Paul Gaultier en tant qu’assistant personnel de 1984 à 1987. Ce dernier était très admiratif du travail du jeune couturier qui faisait déjà beaucoup parler de lui et n’allait pas tarder à devenir une véritable star.
De 1997 à 2003, la maison supervise la direction artistique des collections femmes pour la prestigieuse maison Hermès. Il réalisa ses créations avec une équipe de stylistes placés sous la direction du président d’Hermès, Jean-Louis Dumas, mais comme toujours Margiela resta dans l’anonymat.
Entre geste artistique et œuvres originales
Suite à cette collaboration, il crée alors sa marque éponyme avec son bras droit Jenny Meirens et ouvre sa première boutique à Paris en 1988. Son style est unique et avant-gardiste. Le mot d’ordre est « rien ne se perd, tout se transforme » Il va alors créer des collections avec des vêtements usagés, trouvés dans des friperies ou au marché aux puces. Il va aller jusqu’au bout de son idée en incorporant des emballages plastiques dans ses créations.
Anticonformiste jusqu’au bout des doigts il se fait remarquer en organisant ses défilés dans des lieux insolites comme un entrepôt de la SNCF désaffecté, une station de métro ou encore un terrain vague.
À la fois masculine et féminine, très attachée à la fusion des genres, la Maison repose sur une approche cérébrale de la déconstruction, de la réinvention et de la redéfinition des silhouettes homme et femme.
Au sein de la Maison, le créateur belge impose un unique code vestimentaire à l’ensemble du personnel. L’uniforme « blouse blanche » est alors imposé et adopté. Il se présente comme un élément fondateur du « collectif créatif » mais aussi en hommage aux anciens ateliers de Haute Couture. Adepte de la couleur blanche les ateliers sont entièrement peints en blancs, les meubles eux, sont recouverts de draps blancs.
L’ANDAM, premier prix et ascension
C’est en remportant le premier Prix de l’ANDAM, en 1989, que le jeune designer peut enfin se concentrer sur ses créations. Avec l’argent qu’il en tire, il lance sa collection artisanale, créée à partir de matériaux recyclés.
L’Association Nationale pour le Développement des Arts de la Mode (ANDAM) est une association, qui organise chaque année un grand concours destiné à repérer et à lancer de jeunes stylistes sur la scène de la mode française et internationale.
Nathalie Dufour a fondé l’ANDAM en 1989 sous l’égide de Pierre Bergé, et a immédiatement bénéficié de nombreux soutiens financiers. Sa création représente une étape décisive dans l’histoire de la mode internationale et a contribué à l’avènement des plus grands noms de la mode contemporaine.
Il est élu premier lauréat un an seulement après avoir fondé sa Maison.
Maison Martin Margiela : Premières lignes de vêtements
Sa première collection de prêt-à-porter féminin voit le jour le 23 octobre 1988 dans le Café de la Gare de Paris. Une identité visuelle singulière, allant à l’encontre des tendances de l’époque ; des silhouettes longues et élancées sont portées par des mannequins masqués. Lors des défilés les mannequins ont souvent les visages masqués afin de se concentrer sur le travail du vêtement et non sur la personne qui l’arbore.
Cette première collection femme comportait ce que le journal The Independent décrit comme « un tablier de boucher en cuir retravaillé de façon à en faire une robe de soirée séduisante ». Elle se composait aussi de plusieurs vestes taillées à partir de vieilles robes en tulle.
En 1992 Margiela lance l’une des pièces les plus connues et emblématique de la marque, la botte « tabi ». C’est une interprétation de la chaussette traditionnelle japonaise qui sépare le gros orteil des autres. Une bottine atypique présente à chaque saison, dérivée et retravaillée dans différentes matières et différentes formes.
La collection « Barbie » automne-hiver 1994 introduit le concept de « Replica ». Le principe étant de reproduire et agrandir des vêtements de poupée à taille humaine. Depuis 1994, des vêtements et accessoires collectés autour du monde continuent d’être reproduits et intégrés aux collections saisonnières, selon le concept de « Replica ».
Ce concept va s’étendre en 2005 à celle des senteurs avec le lancement de la collection de parfums « Replica ». Chaque parfum réveille des images et des souvenirs qui rappellent l’histoire de la Maison.
En 1998 la « Collection Plate » voit le jour. Cette collection femme explore la géométrie et les formes à travers un travail surprenant. Composées d’astucieuses attaches, qui permettent à chaque pièce de s’ouvrir et de s’aplatir complètement dès lors qu’elles ne sont pas portées.
La « Collection Surdimensionnée », composée de vêtements aux proportions élargies et exagérées voit le jour en 2000. Chaque pièce est moulée pour une taille 78 italienne et conserve ses proportions gigantesques lorsqu’elles sont portées sur un corps de plus petite taille.
Chaque collection est plus originale les unes que les autres et dévoile un travail qui relève du génie.
Ligne 0 à 23
Les collections produites tirent leur inspiration de la haute couture dont les créations servent à leur tour d’inspiration à des collections de prêt-à-porter. Ces collections vont alors être dérivées sous forme de ligne allant du chiffre 0 à 23. Les lignes de produits recouvrent aussi bien des vêtements pour femmes et pour hommes que de la bijouterie fine, des chaussures, des objets décoratifs, des parfums et des articles ménagers.
Chaque ligne représente une époque et un style différent. C’est bien évidemment Martin Margiela qui était à la tête de cette invention originale dans les années 90.
Chaque saison, la maison parisienne propose un travail à contre-courant des codes classiques de la mode milanaise et joue sur la neutralité des genres.
L’étiquette auparavant immaculée de la maison est alors remplacée par une nouvelle étiquette : marquée en noir de numéros allant de 0 à 23, le chiffre entouré indique la ligne à laquelle le vêtement correspond.
MM6 : la ligne pour femme
C’est en 1997 que la ligne 6 voit le jour, plus tard renommée MM6. Une Ligne contemporaine pour femmes. MM6 envisage les codes féminins et décontractés de façon anticonformiste à travers des coupes contemporaines et des imprimés que l’on retrouve dans ses collections féminines, ses chaussures, accessoires et sa maroquinerie.
Un unique point de couture horizontal, visible depuis l’extérieur de la pièce, attache l’étiquette MM6 à chacune des créations.
La mode « Haute Couture »
C’est grâce à la Ligne 0 aussi appelée collection « Artisanal » présentée en 2006 que la Maison devient membre de la Chambre Syndicale de la Haute Couture. Chaque pièce est confectionnée à la main dans les ateliers parisiens à partir de matériaux retravaillés, anciens, trouvés, recyclés ou bruts.
En 2012 la collection « Artisanal » reçoit officiellement l’appellation « Haute Couture » de la Fédération Française de la Couture.
Margiela compte parmi les premiers créateurs de mode masculine conviés au Pitti Immagine Uomo, le salon masculin de référence organisé deux fois par an à Florence en Italie.
De Maison Martin Margiela à Maison Margiela
L’histoire d’amour entre Martin Margiela et la maison prend fin en octobre 2009. En effet, le designer décide de se retirer et laisse sa place à l’un de ses collaborateurs. On évoque un désaccord à propos de la volonté de Renzo Rosso de transformer la Maison en marque internationale.
Mais fidèle à lui-même, le créateur belge reste discret sur les raisons de sa démission.
Après le départ de M.Margiela, l’équipe de stylistes continue le travail sans qu’un directeur artistique soit nommé. La maison souhaite rester avant-garde et provocatrice, mais sans nouveau directeur artistique. C’est un défi qu’elle s’est donné et qu’elle a su relever.
En 2014, le couturier star britannique John Galliano est nommé directeur artistique de la Maison. L’héritage de la maison s’exprime à travers la vision poétique de la Haute Couture de Galliano, qui marie à la fois conceptualisme et art mais aussi mystère et élégance contemporaine.
C’est le début d’une nouvelle ère pour la Maison.
Un nouveau souffle artistique
Habitué à la provocation et au scandale, John Galliano a été durant plus de dix ans, directeur artistique de Dior, marquant le milieu de la mode par ses défilés, ce qui lui vaudra, toute sa carrière, le surnom de « surdoué de la mode »
John Galliano avait déjà occupé le même poste chez Givenchy et ainsi que pour sa propre marque. Le seul mot d’ordre donné par Margiela à son nouveau directeur artistique est « faites d’elle la vôtre ».
La première collection Maison Margiela « Artisanal » conçue par John Galliano est présentée à Londres à l’occasion de la Fashion Week en 2015. Les vêtements sont démontés puis renaissent de façon inattendue. En même temps que la sortie de cette première collection, Galliano révèle le nouveau nom de la maison, le prénom du célèbre créateur a été enlevé pour ne laisser place qu’à « Maison Margiela ».
La deuxième collection comprend 30 ensembles avec des accessoires en néon, des ballerines et des chaussons en fourrure synthétique, des manteaux longs, et des finitions vernis. Galliano rompt lors des défilés avec la tradition d’anonymat de la maison, bien qu’il s’abstienne de venir saluer les spectateurs en fin de défilé.
Aujourd’hui Martin Margiela c’est quoi ?
Aujourd’hui John Galliano s’est positionné en analyste de la société dans laquelle nous évoluons. Il traduit par ses créations ses réflexions sur le monde. Les dernières saisons Galliano explorait la notion de glamour pour les millenials.
Cette année il révèle une étude pertinente sur le trop-plein d’informations visuelles à l’ère du digital.
Dans les locaux du siège de Maison Margiela les murs étaient recouverts de tags de toutes les couleurs. Un motif revenait souvent un caniche bleu. Ils se reflétaient sur un catwalk miroir, où défilaient des silhouettes reprenant des motifs colorés, tissés en jacquard effilé ou imprimé sur des drapés. Pour le créateur cette perception de la réalité déformée représente les fake-news qui nous submerge.
L’hommage au musée de la mode
En 2018 la première rétrospective consacrée à Martin Margiela se déroule au Palais galliera à Paris. L’exposition retrace, du printemps-été 1989 au printemps-été 2009, la carrière du créateur belge qui questionna aussi bien les structures du vêtement que les systèmes du monde de la mode.
Cette année le créateur énigmatique sort de l’ombre, il est annoncé comme juré pour le 30ème prix de l’ANDAM. Un honneur pour lui qui fut le premier lauréat élu. Néanmoins, il sera impossible de l’apercevoir sur les photos souvenirs de l’événement. Fidèle à lui-même il ne sera pas physiquement présent à l’événement, il sera alors connecté à la salle lors de la délibération du jury.
Le créateur adulé préfère vivre caché
Par Pauline Petit.